Michael Gottheil, Président exécutif, Tribunaux de justice sociale Ontario
Toronto, Ontario, Novembre 2015
Dans mon travail dans le secteur de la justice, la plupart des gens que je rencontre sont dévoués à favoriser une société et un milieu de travail inclusifs.
Vous l'êtes probablement également.
Mais laissez-moi vous poser ces quelques questions :
Nous en soucions-nous véritablement? Il existe de nombreuses raisons d'être préoccupé par ces questions : qu'elles soient juridiques, économiques, stratégiques, ou bien politiques, culturelles, éthiques, voire même religieuses. Nous savons que l'inclusion apporte des bénéfices sociaux et économiques tangibles.
Alors, réfléchissons maintenant à d'autres questions plus difficiles concernant l'inclusion. Que voulons-nous dire par « inclusion » et de quelle façon pouvons-nous créer une société plus inclusive?
Dans le domaine des droits des personnes handicapées, l'inclusion est un sujet souvent discuté. Nous adoptons des lois telles que la LAPHO (Loi de 2005 sur l'accessibilité pour les personnes handicapées de l'Ontario) ou le Code des droits de la personne, pour éliminer les obstacles et rendre notre société plus accessible. Mais, si nous respectons le Code et intégrons ces normes, les entreprises et les milieux de travail deviendront-ils réellement plus inclusifs? Le fait d'éliminer des obstacles et de faciliter l'accès à un espace le rend-il inclusif?
En tant que personne malvoyante, j'aimerais offrir quelques réflexions sur cette question qui sont fondées sur mes propres expériences.
Je me perçois comme quelqu'un ayant beaucoup d'assurance, accompli dans sa vie personnelle comme dans sa vie professionnelle. Et pourtant, il m'arrive parfois de me sentir seul, inadéquat, voire même désemparé dans certaines situations sociales ou professionnelles à cause de mon handicap.
Par exemple, si je me présente à une grande réunion et que les présentations ne sont pas faites, je n'aurai aucune idée de qui est présent et de qui prend la parole. Si la réunion devient chaotique, sans ordre préétabli, alors là, je suis vraiment perdu. Sans savoir à quel moment prendre la parole, je me sens maladroit et anxieux, et j'aurais peur d'interrompre quelqu'un ou de parler à un moment inopportun. Ou, il se peut que je ne prenne pas du tout la parole.
Il m'arrive souvent de penser à quel point ce genre de situation peut être difficile pour d'autres personnes, atteintes de troubles de communication, ou bien timides ou pensives. Les gens provenant de cultures dont les normes diffèrent quant au moment de prendre la parole ou qui croient qu'il est impoli d'interrompre les autres. Et je pense à tous ceux d'entre nous qui n'ont pas la chance de partager leurs points de vue, idées et expériences, et qui gardent le silence.
Les réceptions sont un autre exemple de ce que j'entends par un espace « partagé », mais où il m'arrive souvent de m'y sentir inconfortable. Je marche dans une salle pleine de gens, entends leurs discussions et pourtant, je suis seul. Plus grande est la foule, plus seul je me sens. La plupart des gens pourront reconnaître quelqu'un de leur connaissance et aller le saluer, ou bien aller à la rencontre d'une nouvelle personne. De mon côté, il m'arrive souvent de me présenter au serveur par erreur. Je lui tends la main en disant : « Bonjour, mon nom est Michael », et je lui demande ce qui l'amène ici. « Je suis serveur, souhaiteriez-vous quelque chose à boire », me répondent-ils poliment. Je leur réponds alors « J'en prendrais trois », pour tenter de noyer mon malaise et mon embarras.
J'aimerais dire cependant que de telles situations sont plutôt rares. Je suis constamment impressionné et réjoui par la générosité, la prévenance et l'attention que je rencontre chez les gens, mêmes parfois chez de parfaits étrangers.
Quelques semaines plus tôt, je me suis présenté à une conférence sur les Autochtones et le droit à Saskatoon, en Saskatchewan. Arrivé à l'hôtel, le porteur, un jeune homme du nom de Landon, m'a donné de l'aide. J'ai été réjoui de constater qu'il connaissait le protocole exact pour offrir de l'assistance à une personne souffrant de déficience visuelle. Il s'est montré extrêmement serviable et patient. Tout au long de mon séjour, lui et les autres membres du personnel ont pris le soin de me saluer et de me demander si j'avais besoin d'aide. Non seulement le service était adapté à mes besoins, mais il me faisait également sentir comme le bienvenu. Il s'agissait véritablement d'une expérience inclusive. Le sentiment d'avoir une connexion avec les autres est quelque chose de spécial. Vous vous sentez à l'aise de participer sans avoir à vous demander constamment si vous êtes à votre place.
Le discours principal a été prononcé par la juge en chef du Canada, l'honorable Beverley McLachlin. Dans son propos sur le problème criant de l'accès à la justice, elle a mentionné quatre types d'obstacles : procéduraux, économiques, culturels et informationnels.
Je me suis dit que ces catégories s'appliquaient également aux obstacles auxquels font face les personnes handicapées – à l'intérieur du système de justice, mais également en ce qui a trait à l'accès à l'emploi, aux services et à l'éducation. Les obstacles procéduraux et informationnels (en plus des obstacles physiques rencontrés dans les milieux bâtis) sont ceux auxquels nous pensons le plus souvent et ceux que la législation semble le plus souvent aborder.
Mais les obstacles culturels et économiques à l'inclusion n'en sont pas moins importants.
Par exemple, nous savons que les personnes handicapées sont trois fois plus susceptibles d'être sans emploi ou sous-employées que le reste de la population. Nous savons qu'il existe un nombre disproportionné de personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté et qui, par conséquent, éprouvent de la difficulté à accéder aux services et à trouver de l'emploi. La difficulté à avoir accès à Internet, par exemple, peut faire en sorte qu'ils ne puissent accéder à des offres d'emploi ou utiliser des formulaires de demande d'emploi en ligne. La pauvreté peut également faire en sorte qu'ils puissent se sentir coupés du reste de la société, qui est de plus en plus commercialisée et où l'identité et la participation sont définies par notre rôle en tant que consommateur.
Le manque d'accès à la culture populaire peut également amener les personnes handicapées à se sentir exclues. Quelques fois, il m'arrive de me sentir exclu d'une conversation au sujet d'un livre ou d'un film récent, puisque je ne peux y avoir accès.
Le but ici n'est pas de plaider pour un meilleur accès aux livres, aux films et aux programmes télévisés pour les personnes atteintes de déficiences sensorielles, bien qu'il s'agisse de quelque chose d'important. Je cherche plutôt à souligner que les obstacles sociaux et économiques auxquels font face les personnes handicapées peuvent mener à une grande isolation et à un sentiment d'aliénation et d'exclusion.
Le sentiment d'appartenance, et celui de contribuer et de se sentir important, font partie des choses désirées et essentielles à tout un chacun.
Donc, de quelle façon pouvons-nous obtenir une société véritablement inclusive? De mon point de vue, cet objectif va au-delà de l'architecture, des lois et des règlements, à un niveau plus humain – à être conscient des expériences uniques vécues par les autres.
Un espace pleinement inclusif est non seulement facile d'accès, mais il permet également l'échange d'idées, une connexion avec les autres et le partage d'une expérience commune. L'inclusion se vit de façon réciproque; c'est une occasion pour chacun d'apprendre et d'en retirer quelque chose.
Vraiment? Alors, pourquoi, vous dites-vous sûrement, ne parle-t-il que son expérience de l'exclusion et des situations embarrassantes vécues en tant que personne handicapée. Où sont les expériences communes?
Bon point. Laissez-moi donc vous partager quelques exemples d'expériences communes. Le premier exemple touche à l'inversion des rapports de pouvoir (quelque chose que quelqu'un devrait chercher à faire à chaque chance qu'il a) et le second est sur l'occasion d'établir un lien émotionnel.
Dans un livre merveilleux intitulé Touching the Rock, John Hull explore son expérience vécue en tant que personne non voyante. Il mentionne que, comme personne handicapée, il serait facile d'être marginalisé, mais il peut également être facile de se trouver en position de supériorité :
Il est difficile d'éviter la situation qui survient lorsque, à cause de sa propre faiblesse, quelqu'un se trouve à exercer un certain pouvoir sur une autre personne. Les personnes handicapées ont tendance à rendre impuissants les gens autour d'eux.
Ils peuvent être troublés et confus et ils se trouvent plongés dans l'incertitude et l'embarras. Il se sentent impolis, maladroits, insensibles et déplacés. Ils réalisent qu'ils ne savent pas comment réagir, ou qu'ils ne savent pas comment prendre la situation en main.
Le professeur Hull explique qu'il est important pour une personne handicapée d'user de ce pouvoir de façon avisée. Peut-être. Mais il est également important de reconnaître l'importance d'explorer ce qui nous connecte tous, même ce qui peut nous met mal à l'aise.
Mon second exemple est au sujet de Kirby, mon nouveau chien guide. Depuis que je travaille avec Kirby, c'est incroyable à quel point je suis devenu populaire et à quel point les gens que je rencontre se montrent sympathiques et soucieux à mon égard. Kirby est désarmant. Il offre une façon facile de parler de mon handicap. Il permet d'entamer une conversation agréable sur un aspect de l'humanité qui met la plupart des gens mal à l'aise et qui, pour eux, est étrange et effrayant.
Ces conversations permettent de toucher à notre besoin inné et commun d'établir un lien à un niveau purement émotionnel, et de la facilité à laquelle nous pouvons le faire lorsque nous en avons la possibilité.
Donc, alors que nous cherchons ce qu'il faut pour créer une société véritablement inclusive, j'aimerais offrir ces trois dernières réflexions.
Premièrement, un espace inclusif est un lieu auquel nous semblons tous aspirer, qui donne un sens à notre identité à travers la communauté et notre humanité. En d'autres mots, il s'agit d'un lieu où nous sommes valorisés pour notre contribution au bien-être collectif.
Deuxièmement, un espace inclusif est dynamique en expansion continue. Le lauréat du prix Nobel et fondateur de L'Arche, Jean Vanier, a écrit que chez chaque personne se trouve quelque chose de nouveau et d'unique qui ajoute quelque chose à notre monde.
Finalement, j'aimerais ajouter que nous devrions trouver un langage commun pour réussir ce projet. Un langage qui serait inspiré de nos cultures, de nos expériences, de nos faiblesses,
de nos succès et de nos forces particulières. Un langage qui nous permettrait de créer quelque chose comme une imagination commune. Pour moi, cette idée est éminemment excitante et
éminemment inclusive.